Antananarivo, le 11 juillet 2019
Toutes les étapes du processus électoral, lors des élections législatives de 2019 se sont déroulées relativement dans le calme malgré les incidents et les défaillances constatés.
Les nouveaux députés sont élus, suite à la proclamation officielle des résultats du scrutin du 27 mai 2019 par la HCC. L’observatoire SAFIDY propose des mesures correctives en vue des élections à venir. Les activités d’observation des élections législatives 2019 ont été réalisées en partenariat avec l’Union Européenne et l’Organisation Internationale de la Francophonie.
Pour contribuer à la crédibilisation, à la transparence et à la légitimité du processus électoral lors des élections législatives du 27 mai 2019, l’Observatoire SAFIDY a travaillé avec un dispositif composé par (i) l’observation et la remontée de données faites par plus de 5000 Observateurs, (ii) le centre d’appel et de saisie engageant une centaine d’opérateurs, (iii) le centre de recoupement et de traitement des informations collectées ainsi que (iv) le centre de veille pour la prise de décision rapide regroupant plusieurs acteurs comme la CENI, les Forces de l’Ordre et de Sécurité, la CNIDH[1], le projet PEV[2] et l’Observatoire SAFIDY.
En plus des données issues de ses observateurs, SAFIDY a aussi exploité les signalements faits par les citoyens à travers des numéros verts. L’Observation de SAFIDY a couvert 48 districts répartis dans 16 régions, qui représentent plus de 50% des électeurs du pays.
SAFIDY a poursuivi ses efforts pour maintenir son efficacité en matière d’observation électorale. L’opérationnalité de l’Observatoire SAFIDY traduit l’implication significative de la société civile Malagasy dans la mission d’observation électorale pendant les élections législatives de 2019.
Certains constats récurrents continuent d’entacher le processus électoral.
Concernant le cadre juridique, SAFIDY relève la modification non transparente, non inclusive et précipitée de la loi électorale. C’était le cas pour la modification de la loi relative aux élections législatives -notamment le système électoral- qui n’a été rendu publique qu’après son adoption. SAFIDY déplore le fait que malgré la recommandation de la Commission de réflexion[3] de généraliser le scrutin uninominal majoritaire à un tour, la formule retenue sans concertation avec les parties prenantes a été le scrutin mixte. Alors que la mesure recommandée aurait permis d’établir un mode de scrutin simple et favorable à la légitimité des élus.
En outre, l’Observatoire constate des lacunes et imperfections dans le cadre juridique actuel : i) vide juridique sur les procédures de remboursement de la caution en cas de refus de candidature, ii) absence de dispositions sur la précampagne électorale, iii) absence de plafonnement des dépenses de campagnes et le caractère non obligatoire de l’ouverture d’un compte bancaire pour la traçabilité des dépenses, iv) ineffectivité des dispositions sur le financement des campagnes électorales. A cela s’ajoutent les délais de recours trop courts.
Concernant l’administration électorale, l’Observatoire a relevé le manque de communication auprès des électeurs sur les changements de la liste électorale, qui a contribué à priver les électeurs non informés du droit de voter. SAFIDY note l’insuffisance de la communication sur le chronogramme détaillé, ainsi que le manque d’harmonisation des procédures d’enregistrement des candidats.
Quant à la transparence et la redevabilité de la CENI, SAFIDY demeure préoccupé par le manque de communication – sur les communiqués et décisions, sur le budget, sur la nomination des membres des démembrements. Ce qui va à l’encontre des dispositions stipulées dans l’article 9 de la loi sur le mode de fonctionnement de la CENI. SAFIDY a aussi constaté une divergence entre la CENI et ses démembrements quant à l’interprétation de la loi sur la validation des votes.
Par ailleurs, SAFIDY relève la
persistance du manque de valorisation des tableaux d’affichage par les
candidats, voire par la CENI. SAFIDY déplore que la plupart des sessions de
formation aient été limitée au mode de remplissage des PV, en raison de la durée
de formation souvent écourtée avec des conséquences sur des procédures
disparates le jour du scrutin.
Concernant la liste électorale, SAFIDY note une augmentation au niveau national de 3,81% des inscrits lors de cette législative par rapport au deuxième tour de la présidentielle, soit 392 598 électeurs supplémentaires.
La campagne électorale a été active mais marquée par des irrégularités : arrachage d’affiches et affichage en dehors des lieux prévus par la loi, provocation verbale entre les partisans des candidats, et par média interposés, violation de la loi à travers le soutien public à des candidats de la part de chefs d’institution en exercice.
Aussi, SAFIDY relève une tendance à diffuser des informations biaisées aux électeurs, sur les attributions des députés. En effet, les véritables rôles des parlementaires –législateurs, contrôle de l’action gouvernementale, évaluation des politiques publiques- n’ont pas été mis en exergue durant la campagne électorale.
L’Observatoire note une légère hausse des pressions et menaces exercées sur les acteurs électoraux dans ses zones d’observation, avec un taux passé de 13,16% au début de la campagne, à 15,15% en fin de campagne.
Une aggravation de l’abus de puissance publique a été constatée par l’Observatoire : le taux lié à ce phénomène est passé de 13,75% au début et à 36,36% en fin de campagne.
Quant aux médias publics, malgré les actions de régulations entreprises par la CENI en matière de répartition de temps d’antenne entre les candidats, SAFIDY note la partialité de la télévision nationale. Ce fut le cas par exemple de la diffusion de la campagne électorale dans le district de Faratsiho faite par le candidat IRD le 25 mai 2019 qui a été répétitive, et a dépassé la durée convenue pour une telle émission.
Concernant le jour du scrutin, 87% des bureaux de vote observés ont ouvert à temps tandis que 98% disposaient de matériels leur permettant d’organiser les élections dès l’ouverture. Ce qui s’est amélioré par rapport au 2ème tour des élections présidentielles (évalué à 95,4%).
87,5 % des bureaux de vote ont vu la présence de tous leurs membres à l’ouverture, ce qui représente une régression par rapport aux 91.8% des BV constatés Au cours du 2ème tour aux élections présidentielles. La participation des jeunes et des femmes en tant que membres de bureau électoral a été plus significative : 72,8% des BV ont eu au moins un jeune membre de BE contre 64,7% au 2ème tour, tandis que 67% avec au moins une femme durant les législatifs si ce taux a été de 64,4% au 2ème tour.
En général, le scrutin s’est déroulé dans le calme avec 98 % des BV observés sans incidents ou troubles.
Dans les zones d’observation de SAFIDY, le taux de participation à midi était de 21%, en régression de 9% par rapport au 2ème tour des présidentielles. Le taux de participation le jour du scrutin a ainsi diminué de 8 points – 40 % pendant les législatives contre 48% au 2ème tour des présidentielles.
Les procédures de votes ont été respectées car des vérifications et contrôles assez rigoureux ont été effectués. Dans 96,6% des BV observés, les pouces des électeurs ont été systématiquement vérifiés et leur présence dans la liste électorale a été enregistrée, 99,5% des BV ont procédé à la vérification systématique des pièces d’identité et 99% des BV ont vérifié que tous les électeurs ont signé dans la liste électorale.
Bilan des résultats avec le taux de participation/d’élection des députés élus : faible base électorale
Les députés ont été élus avec des taux de participation faibles susceptibles de remettre en cause leur légitimité, si leur élection est acceptée légalement. Cette faiblesse de la participation reflète la perte de confiance des citoyens envers l’institution.
SAFIDY a noté que si on se réfère au taux de participation et au nombre de voix obtenu[4]:
- 110 (soit 73% des députés, toutes tendances politiques confondues sont élus avec un taux de participation réel inférieur à 20%.
- 20% vont siéger à l’Assemblée Nationale grâce à un taux de participation entre 20% et 30%.
- Il y a seulement 8 (soit 5%) députés qui sont élus avec un taux de 30% à 40%
- Un député a été a été élu avec un taux de participation réel supérieur à 40% (43,76%).
- Un seul député a été élu avec un taux de participation supérieur à 50% (55,21% plus exactement)
SAFIDY a mis en place un centre de veille avec le concours de la CENI, des forces de l’ordre (Gendarmerie et Police nationale), du PEV et de la CNIDH. 25 cas recoupés, issus des signalements à travers les numéros verts[5], y ont été traités. Parmi ces cas, un seul a concerné la sécurité, en l’occurrence une attaque de Dahalo dans le district de Manandriana, région Amoron’i Mania, survenue tôt le matin, et rapidement prise en charge par les Forces de sécurité locales. Les autres cas (24) relevaient de l’opération électorale.
Les opérations dans les 26 SRMV observés par SAFIDY se sont déroulées sans incident majeur. Les membres des SRMV ont été dans la majorité au grand complet avec la présence du Magistrat, du PCED, du CED et du chef CID. Par contre, le PCEC était présent à hauteur de 88,40%.
Le suivi du respect de la Charte de bonne conduite et d’intégrité des candidats : A l’instar des élections présidentielles, et dans le cadre d’une initiative prise par 12 entités[6], SAFIDY a fait la promotion de la charte dénommée « Toky Nomena » aux élections législatives. Elle a été signée par 553 candidats, dont 528 titulaires et 25 mandataires, soit l’adhésion de 68.27% des candidats représentant une hausse de 38% par rapport au taux d’adhésion lors des élections présidentielles.
64% des violations des engagements du Toky Nomena portent sur la période de campagne. 30% des violations portent sur les irrégularités et fraudes constatées durant le jour du scrutin. Ces violations concernent en grande partie la modification des résultats des votes par les ratures et surcharges des PV. Il en est ainsi par quelques BV dans les circonscriptions de Soalala, Arivonimamo, Betafo, Ambositra, Amparafaravola et Toliara II.
6% des violations ont été constatés après scrutin. Il s’agit notamment des manifestations publiques liées à la contestation de résultats, suite à la remontée progressive des résultats au niveau des SRMV.
Des recommandations importantes à court, moyen et long terme pour améliorer l’organisation des élections et prévenir les mauvaises pratiques électorales.
Sur le respect de l’Etat de droit. L’application effective de la loi demeure primordiale et doit être renforcée par les Institutions censées être les responsables comme la CENI et la HCC.
Sur l’amélioration du cadre institutionnel et légal, SAFIDY suggère les améliorations suivantes : prévoir le financement des élections par les ressources internes du Gouvernement Malagasy ; commencer le processus de refonte et/ou révision des lois électorales dès maintenant pour avoir des lois adoptées au moins de deux années avant l’échéance électorale 2024 ; en capitalisant les acquis des dernières élections, élargir la durée de la campagne électorale et référendaire officielle, promouvoir la redevabilité locale en faisant élire le président et le vice-président du bureau électoral par les Fokonolona; instaurer l’obligation d’ouverture d’un compte bancaire ; fixer un plafonnement des dépenses engagées pour la campagne électorale ; renforcer les mesures pour garantir la neutralité de l’Administration et l’interdiction de l’utilisation abusive des prérogatives de puissance publique pendant les élections.
Sur la Révision Annuelle de la Liste Electorale (RALE), outre l’exigence de l’implication de toutes les parties prenantes dans la RALE, le renforcement de la sensibilisation appropriée, la dotation de matériels adéquats pour assurer une meilleure traçabilité de toutes les opérations, le renforcement des capacités des membres des CLRE, le contrôle d’intégrité des données pendant la saisie restent toujours des priorités à court terme. SAFIDY recommande aussi l’abandon du système avec gel de la liste pour permettre aux nouveaux électeurs de s’enregistrer à tout moment, tout en considérant le délai technique nécessaire pour avoir une liste arrêtée prête pour une élection donnée.
A long terme avant 2022, l’amélioration de la procédure dans l’Etat Civil notamment la délivrance de la CIN biométrique est toujours indispensable pour renforcer la crédibilité de la liste électorale et des élections en général.
Sur la campagne électorale. La campagne électorale devrait être un moyen de garantir un minimum d’égalité de chance entre les candidats. En effet, à court et moyen terme, la CENI devrait améliorer la composition et la façon de travailler de la Cellule de veille mise en place en son sein assurant la fonction de l’ANCRM. La consolidation d’un espace d’échange et du partenariat entre les médias publics (ORTM, RNM, TVM) et les OSC avec la facilitation de la CENI s’avère incontournable pour l’équilibre des informations. L’autorisation de la couverture nationale des médias privés permettra aux citoyens d’avoir une pluralité de sources d’informations.
Pour l’administration électorale. L’analyse des risques et/ou l’audit organisationnel et financier indépendant des Institutions électorales comme la CENI est une priorité. Le mécanisme d’appui des Partenaires Techniques et Financiers doit aussi être clarifié. Par ailleurs, l’amélioration de la communication faite par la CENI sur les opérations électorales et la transparence de l’utilisation des fondsutilisés pour l’organisation des élections par la CENI, HCC, Société Civile, etc. est fortement recommandée.
Le contentieux électoral. Conduire une série d’Ateliers de formation spécifiques dans les régions pour les OSC/Observateurs, la CENI/Démembrements et autres acteurs sur les procédures à suivre et les preuves à fournir sur les irrégularités, anomalies et fraudes constatées; conduire une campagne de communication pour mobiliser les citoyens à oser dénoncer/faire des recours ; former des avocats sur le contentieux électoral. A long terme, rallonger le délai de traitement des requêtes au niveau de la HCC, renforcer les dispositions de traitement et de prise en compte des infractions pénales constatées ou signalées.
Enfin, vu que le taux de participation au vote présente une tendance à la baisse au cours des dernières élections, l’obligation d’aller voter est un sujet qui mérite des débats approfondis.
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L’observatoire SAFIDY est une structure indépendante, neutre, dotée d’un savoir-faire technique et d’analyse. Il a pour mission de recueillir les données et les faits saillants sur le déroulement des élections, et après analyses, de communiquer et publier ses constats techniques. SAFIDY est ainsi une structure pérenne capable de fournir des outils efficaces et de référence permettant à la société civile de faire des actions d’interpellation et de plaidoyer. Les recommandations issues de ses observations seront partagées à tous les acteurs impliqués dans le processus électoral pour servir d’outils de renforcement, de plaidoyer et d’interpellation des instances nationales. Les actions de SAFIDY sont soutenues par l’Union Européenne dans 48 districts/16 régions et par l’Organisation Internationale de la Francophonie dans le district d’Arivonimamo, Région Itasy.
Contact : 034 06 883 65 / safidy.observatoire@gmail.com
Le contenu de ce document relève de la seule
responsabilité de l’Observatoire SAFIDY et des Organisations de la Société
Civile qui le composent : AIM, PFNOSCM-Vohifiraisana, DRV, YMCA, FTMF,
CEDII, MSIS-tatao, ONG Ravintsara, OPTA
et ONG Ivorary
et ne peut aucunement être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union
européenne et de l’OIF.
[1] Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme
[2] Projet d’appui à la prévention et la gestion de conflits et violences politiques liées aux élections à Madagascar (financé par l’UE et mis en œuvre par ECES)
[3] Commission de réflexion initiée par la CENI et menant des longues consultations sur la réforme des lois électorales avec toutes les parties prenantes (Partis politiques, OSC, etc.)
[4] Taux de participation réel= taux de participation*taux de voix obtenue
[5] 0323203232, 0336502323, 0343081020
[6] 07 institutions CFM, HCCDDED, CENI, CSI, BIANCO, SAMIFIN et CNIDH et 05 organisations de la société civile (Projet FANDIO, Transparency International – Initiative Madagascar, le Mouvement ROHY, ONG Tolotsoa et Justice et Paix)
Pour télécharger le communiqué, cliquez sur le lien suivant : https://www.ivorary.org/wp-content/uploads/2019/07/Communiqué-VF_190711_Final.pdf